Le droit européen et français applicable aux réseaux de distribution.
Le Droit de la distribution, deuxième tome du Traité de droit économique, expose, dans une perspective comparative, l’ensemble des règles européennes et françaises : approvisionnement et fourniture exclusifs, distribution exclusive, distribution sélective, distribution automobile.

Droit français de la distribution

1) Internalisation des externalités générées par la double marginalisation
Le phénomène de la double marginalisation a été formalisé pour la première fois par Spengler  dans une situation de monopole bilatéral. En prenant pour hypothèse que fournisseur et distributeur se trouvent chacun en situation de monopole sur leurs marchés respectifs, le fournisseur fixera le niveau de prix du produit à un n …

Effets positifs des restrictions verticales.

Avant même les économistes, les juristes ont toujours distingué nettement les accords horizontaux, passés entre concurrents situés au même stade de la chaîne de production ou de distribution, et les accords verticaux , conclus entre des entreprises qui ne sont pas situées au même niveau de la chaîne, dont les accords entre fournisseurs et distributeurs constituent l'exemple type. Les accords horizontaux portent les germes d'une entente illicite dans la mesure où ils risquent, du seul fait de leur conclusion, de restreindre la concurrence dès lors qu'ils portent sur des données concurrentielles, telles que les prix ou les quantités. Les accords verticaux ont au contraire toujours fait l'objet d'une certaine indulgence de la part des autorités de contrôle dans la mesure où, à la différence des accords horizontaux, ils n'entraînent pas d'atteinte à la concurrence entre les parties à l'accord, mais seulement, éventuellement, entre l'une d'elles et les tiers. 

À la distinction entre accords horizontaux et verticaux, qui met l'accent sur la situation des parties à l'accord, les économistes préfèrent l'opposition entre restrictions verticales et horizontales qui s'attache directement à la localisation des effets sur le marché . Au sens de l'analyse économique, la différence essentielle réside dans le fait que, dans le cadre d'une relation horizontale, les entreprises vendent des produits substituables alors que, dans une relation verticale, elles vendent des produits complémentaires. Il est admis que la demande pour un produit diminue lorsque le prix de son substitut baisse, mais qu'elle augmente en cas de baisse du prix d'un produit complémentaire. Dans une relation horizontale portant sur des biens substituables, chaque entreprise peut souhaiter que le prix des concurrents augmente et que la concurrence par les prix soit moins active. Dans cette hypothèse, l'exercice du pouvoir de marché d'un opérateur qui augmente le prix de ses produits peut profiter aux concurrents, ceux-ci étant mutuellement incités à augmenter leur prix. En revanche, en présence de biens complémentaires, lorsqu'un bien est vendu par une entreprise située en amont à une entreprise située en aval, chaque entreprise a intérêt à ce que l'autre réduise le prix de son produit afin d'en augmenter la demande, cette augmentation étant favorable aux deux entreprises. Il en résulte une incitation à la baisse des prix aux consommateurs et donc à une augmentation de leur bien-être : les restrictions verticales apparaissent, a priori, proconcurrentielles .

La Commission distingue accords verticaux et restrictions verticales, un accord horizontal pouvant dans certains cas déterminer une restriction verticale et réciproquement (V. lignes directrices sur les restrictions verticales du 30 juin 2022, JOUE C 248, pts 88 s. en ce qui concerne les accords verticaux entre concurrents et pts 69 s. pour les associations de détaillants).

Même si elles ne se recoupent pas toujours, les deux définitions - juridique et économique - se superposent largement.

Lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE C 248, pt 10.

Distinction économique des restrictions horizontales et verticales.

V. HAWK, System Failure: Vertical Restraints and EC Competition Law, CMLR, 1995, 973 ; REY & CABALLERO-SANZ, The Policy Implications of the Economic Analysis of Vertical Restraints, European Economy Economic Paper, 1996, nº 19 ; PEEPERKORN, The Economics of Vertical Restrictions, Competition Policy Newsletter, 1998-2 ; NERA, EC Vertical Restraints Guidelines: Effects-Based or Per se Policy?, Competition Brief, 15 août 2000 ; PEEPERKORN, EC Vertical Restraints Guidelines: Effects-Based or Per se Policy? A reply, ECLR, 2008, 38 ; BOSCHECK, The EU Policy Reform or Vertical Restraints - An Economic Perspective, World Comp., 2000, 3 ; SUBIOTO et AMATO, The Reform of the European Competition Policy Concerning Vertical Restraints, Antitrust Law Journal, Vol. 69, 2001-1, 147 ; HUGUES, FOSS, ROSI, The Economic Assessment of Vertical Restraints Under UK and EC Competition Law, ECLR 2001, 424 ; XOUDIS, Les accords de distribution au regard du droit de la concurrence, Bruylant, 2002 ; VEROUDEN, Vertical Agreements and Article 81(1) EC: The Evolving Role of Economic Analysis, Antitrust Law Journal, 2003, 525 ; DIAZ et SKITOL, Vertical Law Reform: Fertile Ground for a New Antitrust Modernization Commission, Antitrust, Fall 2003, 60 ; VOGEL, Le juriste face à l'analyse économique, Rev. Conc. Consom., 2003, n° 134 ; MOTTA, Competition Policy: Theory and Practice, Cambridge University Press, 2004, 640 ; VOGEL, L'économie, serviteur ou maître du droit, Mélanges offerts à André Decocq, Une certaine idée du droit, Litec, 2004, 605 ; La prise de pouvoir par la Commission européenne : l'exemple des règlements d'exemption par catégorie, in L'actualité de la pensée de Berthold Goldman, Editions Panthéon-Assas, 2004, 67 ; BENZONI, Fondements de l'analyse économique des restrictions verticales, Rev. Conc. Consom., 2005, n° 151 ; HILDEBRAND, Economic Analyses of Vertical Agreements, A Self-Assessment, Kluwer, 2005, 134 ; SPECTOR, Analyse économique et sécurité juridique : entre règles per se et règles de raison, in Politiques de la concurrence, CAE, La Documentation française, juin 2006, 271 ; COLLIN, Antitrust Law and Economics of Product Distribution, ABA Publishing, 2006 ; WHINSRON, Lectures on Antitrust Economics, MIT Press, 2006 ; VAN DEN BERGH & CAMESASCA, European Competition Law and Economics: A Comparative Perspective, Thomson, 2006 ; ELHAUGE & GERADIN, Global Antitrust Law and Economics Thomson, Foundation Press, 2007 ; BISHOP & WALTER, The Economics of EC Competition Law: Concepts, Application and Measurement, 3rd ed., Sweet & Maxwell, 2010 ; DEMME, Le droit des restrictions verticales, Economica, 2010 ; ACCARDO, Vertical Antitrust Enforcement: Transatlantic Perspectives on Restrictions of Online Distribution under EU and US Competition Laws, ECJ, Vol. 9, August 2013, 225 ; VOGEL (J.), Distribution et droit de la concurrence : quels changements intervenus et à venir ?, Conc. Consom. mars 2023, Dossier 4.

1) Internalisation des externalités générées par la double marginalisation

Le phénomène de la double marginalisation a été formalisé pour la première fois par Spengler  dans une situation de monopole bilatéral. En prenant pour hypothèse que fournisseur et distributeur se trouvent chacun en situation de monopole sur leurs marchés respectifs, le fournisseur fixera le niveau de prix du produit à un niveau de monopole sur le marché amont en fonction de son objectif propre de maximisation de son profit de monopoleur, indépendamment des décisions du distributeur. À son tour, le distributeur, en position monopole sur son marché, fixera aussi un prix de monopole intégrant le prix de monopole du produit qu'il a acheté au fabricant auquel il ajoutera sa propre marge de monopole . Ces décisions non coordonnées produisent des externalités verticales négatives qui se traduisent simultanément par des effets négatifs sur les profits de l'ensemble de la chaîne (fournisseur et distributeur) et sur le niveau des prix de détail proposés aux consommateurs puisque, pour fixer son prix, chaque entreprise appliquera une marge de monopole sur la base de ses coûts. Le prix de détail incorporera deux marges de monopole, celle du fournisseur et celle du distributeur, et aditionnera les distorsions de concurrence. 

Une coordination des deux entreprises permettra d'internaliser les externalités négatives générées par ce phénomène d'empilement de marge et d'améliorer l'efficacité de la relation verticale. La manière la plus simple de la réaliser consistera à intégrer les deux entreprises afin que le prix de détail n'incorpore plus qu'une seule marge. Lorsque les deux opérateurs ne sont pas intégrés, la mise en œuvre d'une coopération verticale conduira au même résultat. Il suffira que fournisseur et distributeur s'entendent sur un prix de vente maximum correspondant au prix de la structure intégrée (internalisant entièrement les externalités négatives), le prix de gros réglant alors le partage du profit dégagé entre les deux opérateurs . Cet enseignement de la science économique est à l'origine de la jurisprudence favorable aux prix maximum imposés . Une autre solution consistera pour le fournisseur à imposer au distributeur une quantité d'achat égale au niveau permettant de fixer le prix de détail au niveau du coût marginal de l'entreprise aval , le quota minimum de ventes ou d'achats fixé par le fournisseur incitant le distributeur à réduire les prix en vue de l'atteindre .

2) Réduction des inefficiences liées aux phénomènes de passager clandestin

La situation dans laquelle les produits en présence nécessitent un effort de service particulier constitue un exemple classique d'effet positif des restrictions verticales systématiquement rappelé par l'analyse économique  . La concurrence intramarque peut dans ce cas être à l'origine de problèmes de concurrence puisque des externalités horizontales négatives s'ajoutent alors aux externalités verticales négatives analysées précédemment. Une externalité horizontale négative peut apparaître lorsque l'effort de service consenti par un distributeur profite directement à ses concurrents. Dans ce cas, le distributeur augmente ses coûts et donc ses prix en proposant un service à ses clients (vendeurs qualifiés, produits de démonstration, catalogues, etc.). Si son concurrent ne fournit pas ce service et n'en supporte pas les coûts, il peut vendre le produit en cause à un prix de détail plus faible tout en réalisant des bénéfices plus élevés que le distributeur fournissant le service. Le consommateur, après s'être informé sur le produit auprès du distributeur diligent, ira l'acquérir à moindre prix auprès du revendeur vendant le produit sans le service. Ce phénomène de free riding ou de passager clandestin risque, en raison de l'importance des externalités horizontales négatives, de réduire à néant l'offre de services par l'ensemble des distributeurs au détriment des intérêts des consommateurs et du fournisseur . 

Une restriction verticale entre le fournisseur et ses distributeurs permet de remédier à l'inefficience constatée. Il suffit en effet que le fournisseur ne livre que les distributeurs qui assurent le service et leur interdise de revendre à des revendeurs ne fournissant pas le service pour que le free riding disparaisse . Le recours à un système de distribution sélective reposant sur ces deux restrictions verticales conduit dans cette hypothèse à accroître le surplus des consommateurs et des fournisseurs. Développée dans le cadre d'une distribution réalisée quasi-exclusivement par le biais de points de vente physique, la théorie du passager clandestin s'applique mutatis mutandis en cas de coexistence d'une distribution physique associée à des services de prévente, de vente et d'après-vente, avec une distribution par Internet.

3) Autres exemples d'effets positifs des restrictions verticales.

Les restrictions verticales sont justifiées dans de nombreuses autres situations. Un fournisseur assurant une action de formation du personnel de vente de ses distributeurs souhaitera que ce personnel ne profite pas de son investissement pour vendre des produits concurrents et exigera en contrepartie une exclusivité de marque. Il en ira de même s'il subventionne les loyers des locaux du distributeur en centre-ville. De telles restrictions sont, d'un point de vue économique, parfaitement légitimes.

SPENGLER, Vertical Integration and Antitrust Policy, 58 J. Pol. Econ. 347 (1950). Pour une présentation synthétique de l'analyse de la double marginalisation : BISHOP & WALKER, The Economics of EC Competition Law, THOMSON, 3e éd., 2010, n° 5-038, 192 et s.

WRIGHT & DANIEL, Vertical Non Price Restraints: An Economic Overview, in Antitrust Law and Economics of Product Distribution, ABA Publishing, 2006, 117.

TIROLE, Théorie de l'organisation industrielle, Economica, Paris, 1988.

McCALLUM & MARVEL, Resale Pricing Issues, in Antitrust Law and Economics of Product Distribution, ABA Publishing, 2006, 55.

BISHOP & WALKER, The Economics of EC Competition Law, op. cit.

WRIGHT & DANIEL, Vertical Non Price Restraints: An Economic Overview, in Antitrust Law and Economics of Product Distribution, ABA Publishing, 2006, 118.

TELSER, Why Should Manufacturers Want Free Trade, 3 J.L. 8, Econ. 86 (1960). - V. égal. MATHEWSON et WINTER, An Economic Theory of Vertical Restraints, 15 Rand. J. Econ. 27 (1984).

WRIGHT & DANIEL, Vertical Non Price Restraints: Overview, in Antitrust Law and Economics of Product Distribution, ABA Publishing, 2006, 119.

Selon l'analyse économique, le recours aux restrictions verticales peut avoir des effets anticoncurrentiels lorsque la concurrence intermarques est faible. Dans ce cas, un opérateur disposant d'un fort pouvoir de marché peut être tenté d'utiliser ces restrictions pour ériger des barrières à l'entrée de nouveaux concurrents , par exemple en accaparant tous les distributeurs par le biais de contrats d'exclusivité.

L'analyse d'impact des restrictions verticales sur la concurrence et l'efficience doit donc être menée en tenant compte des conditions de concurrence, de l'état des marchés et de la spécificité des produits. L'intensité de la concurrence intermarques constitue un élément d'analyse crucial pour apprécier les effets des restrictions verticales. L'existence sur le marché d'une concurrence intermarques suffisamment forte constituera en principe une garantie suffisante d'efficience .

Plus généralement, l'analyse d'impact devra tenir compte du degré de concentration relatif amont-aval, des conditions d'entrée sur les marchés, de la nature de la concurrence, de l'importance des contraintes liées aux capacités de production et de distribution et de l'existence d'un contre-pouvoir acheteur.

AGHION et BOLTON, Contracts as a Barrier to Entry, 77 Am. Econ. Rev. 388 (1987) ; RASMUSEN, Naked Exclusion, 81 Am. Econ. Rev. 1137 (1991).

REY & VERGE, Economics of Vertical Restraints, Handbook of Antitrust Economics, 2008.

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