Infractions au Code pénal, au Code de commerce ou au Code de l'environnement, Procédure pénale

Droit pénal des affaires

Il n'est pas rare que des groupes de sociétés qui disposent d'une implantation internationale adoptent une organisation dite “matricielle”, qui combine des organisations fonctionnelle et divisionnelle. 

L’organisation fonctionnelle consiste à séparer les différentes fonctions d’une entreprise en suivant une hiérarchie bien définie. L'organisation divisionnelle repose que la création de plusieurs divisions autonomes, qui gèrent chacune un domaine d’activité bien précis. L’organisation matricielle superpose aux fonctions de l'entreprise (R&D, RH, ventes, marketing, etc.) ses divisions (zones géographiques, lignes de produits ou de services, etc.). Elle regroupe par conséquent des personnes dotées des mêmes compétences ou de compétences similaires notamment au sein de business units ou d’areas, dénuées de personnalité juridique, dans une démarche fondée sur une approche projet qui répond à un besoin de transversalité et de coopération. Différents collaborateurs travaillent ensemble sur un projet commun, au sein d'une même division, ce qui permet de croiser les spécialisations et concentrer les compétences et les capacités techniques.

Si l’organisation matricielle présente l'avantage d'optimiser les diverses structures d’entreprise, elle n’est pas dépourvue de risques sur le plan juridique. En effet, dans ce type de structure, un salarié est soumis une double hiérarchie : sa hiérarchie interne, représentée par le responsable permanent dont il dépend habituellement, et la hiérarchie du projet auquel il est affecté, représentée par un chef de projet. L'organisation matricielle crée ainsi des liens hiérarchiques entre salariés de diverses sociétés d'un même groupe, juridiquement indépendantes. 

Les juges français ont d'abord tiré les conséquences juridiques de cette organisation en droit du travail. La qualité de co-employeur des salariés d'une filiale a été reconnue à sa société mère dès lors qu'il “existait entre les deux personnes morales non seulement une communauté d'intérêts économiques et une interdépendance des organes de direction, mais encore une absence de toute clientèle propre à la première société, une absence d'une autonomie de gestion à l'égard de son personnel puisqu'un salarié de la seconde société était obligatoirement détaché pour assurer les fonctions de directeur technique et que les salariés étaient soumis dans leur activité à la direction et au contrôle de la seconde société par l'intermédiaire de l'encadrement” . 

Plus récemment, la Cour de cassation a eu à connaître des conséquences pénales du recours à  une organisation de type matriciel . Dans cette affaire, la personne morale poursuivie était une société holding établie en France, tandis que l’infraction de corruption d’agent public étranger avait été commise au Costa Rica, par des salariés de ses filiales costariciennes, sous couvert de contrats de consultants fallacieux. Relaxée par le tribunal correctionnel, la société mère a été retenue dans les liens de la prévention par la cour d’appel. Dans son pourvoi, elle déniait aux salariés de sa filiale la qualité de représentants et à son Risk Assessment Committee (RAC)  celle d’organe, susceptibles d’engager sa responsabilité pénale. En effet, en vertu de l’article 121-2 du Code pénal, un salarié peut être le représentant d'une société soit au titre des pouvoirs que lui confèrent son statut ou ses attributions, soit au titre d'une délégation de pouvoirs régulière. Pour la  société mère, le salarié d'une filiale ne pouvait donc être considéré comme son représentant qu'à la condition qu'existe une délégation de pouvoirs à son profit. 

En l'espèce, cependant, la société mère avait adopté une organisation matricielle par la création de deux entités virtuelles et transversales dépourvues de personnalité juridique, qui regroupaient, d'une part, des secteurs d'activités (business groups) et, d'autre part, des zones géographiques (areas). Cette organisation matricielle, bien que dénuée de personnalité juridique, impliquait pour chaque agent une double hiérarchie, de jure au sein de la filiale qui le salariait, et de facto, au sein de l'organisation matricielle et transversale. La multiplication de paiements illicites, dans des zones géographiques différentes, ne pouvait donc, selon les juges, être uniquement le résultat de la collusion de deux salariés, mais constituait l'expression d'une politique de groupe, déterminée par la société mère et mise en place au moyen d'une organisation complexe laquelle, sous couvert de transparence et de collégialité, en prévoyant une multitude de documents et une pluralité d'intervenants, n'avait d'autre but que de diluer les responsabilités et de permettre, sous une apparence de légalité, la poursuite de contrats d'agents permettant des paiements illicites à des décideurs publics étrangers déterminants pour les résultats commerciaux de l'entreprise.

La Cour de cassation rappelle ainsi qu’il n’est pas nécessaire qu’une délégation de pouvoirs existe pour qu’un salarié soit qualifié de représentant d’une personne morale au sens de l’article 121-2 du Code pénal. En vertu d'une jurisprudence constante, la délégation de pouvoirs constitue certes une condition suffisante, mais pas nécessaire pour établir la représentation. L’absence de lien juridique et de délégation de pouvoir n’exclut pas la responsabilité de la société mère, qui peut également dériver, en vertu d'une approche pragmatique et fonctionnelle, de l’organisation matricielle du groupe et des missions confiées aux salariés des filiales impliqués, leur conférant la qualité de représentants de fait. Néanmoins, la représentation de fait des salariés de la filiale n’était pas suffisante pour engager la responsabilité pénale de la société mère. La Cour prend en effet le soin de relever que c’est par la combinaison des interventions des salariés des filiales et du RAC central que la corruption active d’agent public étranger a été commise pour le compte de la société mère.

En l'occurrence, aucun des organes prévus par la loi pour une société anonyme n’était intervenu dans le pacte de corruption . La Cour de cassation a donc  pris en considération les conséquences de l’intervention du RAC pour le qualifier d’organe de la personne morale à même d'engager la responsabilité pénale de cette dernière. 

Dans cette affaire, la responsabilité pénale de la société mère est principalement fondée sur l’organisation matricielle du groupe. Elle doit donc alerter les entreprises sur la nécessité de mesurer et d’anticiper les conséquences juridiques de la mise en oeuvre de telles organisations transverses en recourant notamment à des délégations de pouvoir ou en formant les dirigeants de filiales ou responsables de business units ou d’areas aux risques encourus.

Nîmes, 16 juin 2009, n° 08/02221, LawLex202300013029JBJ, approuvant Cons. prud'h. Aubenas, 15 avril 2008.

Cass. crim., 16 juin 2021, LawLex202200001378JBJ, BJS septembre 2021, 24, obs. SALOMON ; JCP 2021, n° 768, obs. BRIGANT ; Dr. pén. 2021, n° 140, obs. CONTE ; JCP S 2021, n° 1223, obs. DUQUESNE ; Rev. int. Compliance 2021, n° 220, obs. RUSSO ; JCP E 2022, n° 1101, n° 13, obs. GASBAOUI.

Comité central d’évaluation des risques, “RAC” dans la décision.

Comp. Cass. crim., 14 mars 2018, n° 16-82.117, LawLex202200007749JBJ, D. 2018. 618 ; AJ pénal 2018. 254, obs. DE COMBLES DE NAYVES ; JCP S 2022, 1237, DUQUESNE ; Dr. pén., n° 11, novembre 2021, comm. 187, ROBERT ; JCP E 2023, 1027, DREYER ; JCP, 2021, act. 768, BRIGANT, dans laquelle le “comex” d'un grand groupe international - instance de direction dans laquelle siège le président directeur général, le vice-président et les directeurs généraux et qui arrête la stratégie du groupe et auquel sont soumis, pour décision, tous les investissements du groupe - s’est vu reconnaître la qualité d’organe, dont les agissements pouvaient engager la responsabilité pénale de la  personne morale.

7. Définition