Infractions au Code pénal, au Code de commerce ou au Code de l'environnement, Procédure pénale

Droit pénal des affaires

La fusion-absorption est l’opération par laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une entité existante . Elle entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés absorbées, qui disparaissent, et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, absorbantes, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération . Dès lors  …

Principe

La fusion-absorption est l’opération par laquelle une ou plusieurs sociétés transmettent leur patrimoine à une entité existante . Elle entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés absorbées, qui disparaissent, et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, absorbantes, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération . Dès lors que la société absorbée n’est pas liquidée et que son passif est transmis à l'absorbante, se pose la question de l'éventuelle transmission de sa responsabilité, en tant qu'élément de son passif.

En matière pénale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a d'abord considéré que si la société absorbée avait fait l'objet d'une condamnation pénale assortie de dommages-intérêts civils avant son absorption, la société absorbante était redevable de ceux-ci . En revanche, elle estimait  que l’article 121-1 du Code pénal, aux termes duquel nul n’est responsable que de son propre fait, s’opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion . Cette interprétation se fondait sur une assimilation de la situation de la personne morale absorbée à celle d’une personne physique décédée : la fusion, qui entraîne la dissolution de la société absorbée, lui faisant perdre sa personnalité juridique, devait entraîner l’extinction de l’action publique en application de l’article 6 du Code de procédure pénale qui vise l'extinction de l’action publique en raison du “décès” du prévenu. La société absorbante, personne morale distincte, ne pouvait en conséquence être poursuivie pour les faits commis par la société absorbée . 

Cependant, cette position est devenue incompatible avec la jurisprudence européenne, qui a retenu, que l’article 19 de la directive 78/855 du 9 octobre 1978 relative à la fusion de sociétés anonymes , qui prévoit la transmission universelle, tant entre la société absorbée et la société absorbante qu'à l'égard des tiers, de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante, emporte obligation pour l’absorbante de s’acquitter des amendes pénales lui ayant été infligées postérieurement à la fusion pour des faits commis par l’absorbée avant celle-ci . De même, la Cour européenne des droits de l'Homme se fondant sur la continuité économique et opérationnelle existant de fait entre la société absorbée et la société absorbante retenait que “ la société absorbée n’est pas véritablement autrui  à l’égard de la société absorbante ”, de sorte qu’imposer à cette dernière une amende civile pour des infractions aux règles de concurrence commises par la société absorbée antérieurement à la fusion par acquisition ne porte pas atteinte au principe de personnalité des délits et des peines . 

Bien que cette décision concerne une atteinte à la concurrence, qui implique une sanction civile, la Chambre criminelle, dans un arrêt du 25 novembre 2020, a considéré qu’elle lui permettait désormais d’interpréter l’article 121-1 du Code pénal comme autorisant la condamnation pénale de la société absorbante au titre de faits commis par la société absorbée antérieurement à l’opération de fusion-absorption . Cet arrêt, qui écarte l’assimilation de la dissolution de la société absorbée au décès d’une personne physique, tient enfin compte de la spécificité des personnes morales pour tirer les conséquences de la réalité économique de la fusion. L'opération de fusion par absorption entraîne de façon automatique la cessation de l'existence de la société absorbée, de sorte que sans la transmission à la société absorbante de la responsabilité contraventionnelle, cette responsabilité serait éteinte. Or, une telle extinction serait en contradiction avec la nature même de la fusion par absorption au sens de la directive, car une telle fusion consiste en un transfert de l'ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante par suite d'une dissolution sans liquidation. La transmission de la responsabilité contraventionnelle répond également à l’objectif posé par la directive de protection des tiers, parmi lesquels figure l'Etat. Si la transmission de responsabilité était exclue, une fusion constituerait un moyen pour une société d'échapper aux conséquences des infractions qu'elle aurait commises, au détriment de l'État ou d'autres intéressés éventuels.

Contrairement à ce semble postuler la Chambre criminelle, la solution n’était pas imprévisible, tant au regard de la jurisprudence européenne que de la jurisprudence interne. En effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation admettait déjà l’application à la société absorbante d’amendes civiles prononcées pour des manquements à la réglementation en matière de concurrence commis, avant la fusion, par la société absorbée . Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs entériné cette jurisprudence en considérant que le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait était susceptible d’adaptations justifiées par la nature de la sanction et l’objet qu’elles poursuivaient et proportionnées à cet objet . Il a souligné, en particulier “ la mutabilité des formes juridiques sous lesquelles s’exercent les activités économiques concernées ”, et relevé que l’amende civile encourue par la société absorbante ne peut être prononcée que contre une personne bénéficiaire de la transmission du patrimoine de la société absorbée, dissoute sans liquidation. Le Conseil d’Etat avait déjà également admis, à de multiples reprises, qu'en matière de régulation des marchés financiers et en matière fiscale, des sanctions pécuniaires soient prononcées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis avant la fusion .

La Haute juridiction précise, dans sa note explicative relative à l’arrêt du 25 novembre 2020, que la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière bénéficie des mêmes droits que la première et peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer. Il pourrait en être ainsi, par exemple, de toute exception de nullité, y compris celles que seule la société absorbée avait qualité à invoquer.

La Cour de cassation s'est appropriée, dans sa décision, les motifs de l'arrêt de la Cour de justice de 2015 . Elle rejette ainsi l'argument selon lequel la transmission de la responsabilité contraventionnelle d'une société absorbée serait contraire aux intérêts des créanciers et des actionnaires de la société absorbante, dans la mesure où ces derniers ne seraient pas à même d'évaluer les conséquences économiques et patrimoniales de cette fusion. Selon le juge de l'Union, ces créanciers doivent, en vertu de l'article 13, paragraphe 2, de la directive 78/855, avoir le droit d'obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière des sociétés qui fusionnent rend cette protection nécessaire, le cas échéant en saisissant l'autorité administrative ou judiciaire compétente pour obtenir de telles garanties. D’autre part, les actionnaires de l'absorbante peuvent être protégés, notamment par l'insertion d'une clause de déclarations et de garanties dans l'accord de fusion. Enfin, rien n'empêche la société absorbante de faire effectuer avant la fusion un audit détaillé de la situation économique et juridique de la société qu'elle entend absorber pour obtenir, outre les documents et informations disponibles en vertu des dispositions législatives, une vue plus complète des obligations de cette société. Cet audit devra porter sur les activités et agissements passés de la société cible, voire même d’une entité elle-même absorbée par la société cible, sur toute la période non couverte par une prescription pénale. S'il est difficile, voire impossible, de passer en revue de manière exhaustive l’ensemble des activités de la cible, certains domaines tels que la compliance ou le droit fiscal devront faire l’objet d’un audit renforcé. Cet audit permettra à la société absorbante d’évaluer au mieux les risques pénaux liés à une éventuelle acquisition, afin notamment de négocier des ajustements de prix. Une attention toute particulière devra être portée à la rédaction des clauses de garantie.

Il convient donc de tirer toutes les conséquences de cet arrêt et des recommandations de la Cour de cassation, d'autant plus que les risques endossés par les sociétés absorbantes ne sont pas susceptibles de garantie. En effet, la Troisième Chambre civile a récemment décidé que l'assurance de responsabilité souscrite avant une fusion-absorption par la société absorbante n'a pas vocation à garantir des évènements concernant la société absorbée, dès lors que le contrat d'assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l'exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l'assurée .

Cons. const., 18 mai 2016, LawLex201600000944JBJ, LPA 8/9 septembre 2016, 9, obs. ARHEL ; AJCA 2016, 338, obs. ARCELIN ; Concurrences 4/2016, 127, obs. DURAND ; RDC 2016, 683, obs. BEHAR-TOUCHAIS ; RJDA 2016, n° 649.

Cons. d'Et., 22 novembre 2000, n° 207697 ; 30 mai 2007, n° 293423 ; 4 décembre 2009, n° 329173 ; 17 juillet 2013, n° 352989 ; 9 avril 2014, n° 359913 ; 23 juin 2014, n° 352990 ; 23 juillet 2014, n° 359902.

CJUE, 5 mars 2015, LawLex201500000273JBJ, préc.

Cass. 3e civ., 26 novembre 2020, n° 19-17.824, LawLex202200007291JBJ, BJS 2021, 45, obs. REYGROBELLET ; Dr. sociétés 2021, n° 7, obs. HAMELIN ; Gaz. Pal. 30 mars 2021, 58, obs. SCLUMBERGER.

Cass. crim., 28 février 2017, n° 15-81.469, LawLex202200009224JBJ, Dr. pén., n° 2, février 2021, étude 7, PALMER, DUNOYER DE SEGONZAC, BOERINGER ; JCP E 2022, 1290, étude DE RICOLFIS et DAUVERGNE ; JCP S 2018, 1352, SEGONDS ; JCP 2017, act. 474, LAPEROU-SCHENEIDER.

V. not. Cass. crim., 14 octobre 2003, LawLex202200001480JBJ, RJ com. 2022, n°4, 399, obs. LE GROG ; Dr. sociétés, n° 1, janvier 2021, comm. 13, SALOMON ; JCP S 2021, 1022, DUSQUESNE ; Dr. pén.,  n° 2, février 2021, étude 7, PALMER, DUNOYER DE SEGONZAC, BOERINGER ; JCP  2021, doctr. 27, SAINT-PAU ; JCP E 2021, 1006, comm. STASIAK.

Cass. crim., 25 octobre 2016, LawLex202200001481JBJ, Dr. sociétés 2017, n° 34, obs. SALOMON ; JCP E 2017, n° 1087, n° 1, obs. DEBOISSY et WICKER.

Aujourd'hui remplacée par la directive 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, JOUE L 169 du 30 juin 2017.

CJUE, 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/Autoridade para as Condições de Trabalho, LawLex201500000273JBJ, Dr. sociétés 2015, n° 89, obs. ROUSSILLE ; JCP E 2015, n° 1234, obs. BARRIERE ; Dr. pén. 2015, n° 74, obs. NOTTE ; JCP G 2015, n° 605, obs. DETHOMAS ; BJS 2015, 393, obs. LE NABASQUE.

CEDH, 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, LawLex201900001472JBJ, LD novembre 2019, 5, obs. BORIES ; Contrats Conc. Consom. 2020, n° 8, obs. MATHEY ; LEDICO janvier 2020, 1, obs. CHONE-GRIMALDI ; D. 2020, 475, obs. GALLOIS ; Concurrences 1/2020, 111, obs. BUY.

Cass. crim., 25 novembre 2020, LawLex202200001375JBJ, Dr. pén. 2021, n° 2, obs. CONTE ; JCP E 2021, n° 1006, obs. STASIAK ; AJ pénal 2020, 576, obs. APELBAUM et BATTAGLIA ; Rev. Sociétés 2021, 79, obs. BOULOC et 115, obs. MATSOPOULOU ; Gaz. Pal. 26 janvier 2021, 21, obs. BRENAUT et TOUZAIN ; D. 2021, 379, obs. FOUQUET ; Dr. sociétés 2021, n° 13, obs. SALOMON ; RTD com. 2020, 961, obs. SAENKO.

Cass. com., 28 février 2006, LawLex200600000717JBJ, RLC 2006/8, n° 550, obs. SELINSKY ; Contrats Conc. Consom., 2006, n° 88, obs. DECOCQ ; 21 janvier 2014, LawLex201400000092JBJ, JCP E 2014, n° 1124, obs. ARCELIN LECUYER ; Contrats Conc. Consom. 2014, n° 91, obs. MATHEY ; RJDA 4/2014, Etudes, 283, obs. RIFFAULT-SILK ; AJ Contrats d'affaires avril 2014, 41, obs.  CONSTANTIN ; Concurrences 2/2014, 122, obs. CHAGNY ; RLDA 2014, n° 5157, obs. BRETZNER ; JCP E 2014, n° 1351, obs. GRIGNON ; RDC 2014, 415, obs. BEHAR-TOUCHAIS ; LPA 26 janvier 2015, 11, obs. ARHEL.

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7. Principe

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