CJEU, 3rd chamber, March 25, 2021, No C-152/19 P

CJEU, 4th chamber, March 25, 2021, No C-611/16 P

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-23.448

Le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement, de sorte qu'il ne peut rétracter une requête qui était motivée en considération de la nature des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, à leur ampleur et à la volonté de dissimulation de ces faits par leur auteur, expressément dénoncés comme justifiant le recours à une procédure non contradictoire, seule susceptible d'assurer dans ces circonstances l'efficacité de la mesure et d'éviter le risque de dépérissement des preuves.

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-23.018

Une relation commerciale présente un caractère établi même en l'absence de contrat-cadre, dès lors que l'une des parties est en mesure de produire des factures sur une période de près de 14 ans.

Le fait qu’un sous-traitant transfère son siège dans une autre région ne démontre pas son souhait de mettre fin aux relations entretenues avec son partenaire commercial, dès lors qu'il a proposé de continuer d'offrir ses services à partir de sa nouvelle localisation et demandé à être informé de l’appel d’offres de son partenaire, et que les relations se sont poursuivies avec un même volume d’activité malgré le transfert.

Si le recours à un appel d'offres rend une relation commerciale précaire, il n'en demeure pas moins que le partenaire qui décide d'avoir recours à cette procédure, alors qu'il entretenait une relation de plusieurs années avec un sous-traitant, doit, pour éviter toute rupture brusque des relations commerciales, lui notifier ce changement de fonctionnement et lui laisser un délai pour réorganiser son activité.

Lorsque la part du chiffre d‘affaires réalisée par un sous-traitant avec son partenaire commercial a subi une forte diminution et s'est stabilisée les années suivantes, le gain manqué pour rupture brutale s'évalue en fonction du résultat des trois dernières années de la relation commerciale et non sur la moyenne de l'ensemble de la relation, dès lors que le préavis accordé n’a pour but que de remplacer le marché perdu. 

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 mars 2021, n° 18/03980

CA Versailles, 12e ch., 25 mars 2021, n° 18/08690

Une cour d'appel ne peut motiver la rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné la mesure d'instruction in futurum par le fait qu'il serait paradoxal que la société mise en cause s'efforçât de dissimuler le mouvement de réorganisation de ses magasins, prétendument calqués sur l'identité visuelle de ceux de la requérante, alors même que ce mouvement concerne des magasins destinés à accueillir le maximum de chalands et qu' il n'est précisément pas conçu pour être caché, dès lors qu'il lui incombe d'apprécier, au jour où elle statue, des mérites de la requête, en s'assurant de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas procéder contradictoirement.

Une cour d'appel ne peut motiver la rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné la mesure d'instruction in futurum par le fait que la possibilité de faire disparaître des preuves informatiques n'est pas non plus de nature à justifier, en soi, qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, ce risque existant tout autant s'agissant de preuves sur support papier, dès lors qu'il lui incombe d'apprécier, au jour où elle statue, des mérites de la requête, en s'assurant de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas procéder contradictoirement.

Une cour d'appel ne peut rétracter l'ordonnance sur requête ayant ordonné des mesures d'instruction in futurum dès lors que ces mesures étaient circonscrites dans le temps et dans leur objet, circonscrit aux faits litigieux dénoncés dans la requête, et restreint par l'utilisation de mots-clefs et que l'atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et non disproportionnée au regard du but poursuivi.

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-22.965

La compétence du juge des requêtes s'appréciant au jour de sa saisine, le juge de la rétractation doit examiner sa compétence au regard de la requête initiale, à laquelle la déclaration d'appel contre une ordonnance de rejet ne se substitue pas.

Le juge de la rétractation doit examiner sa compétence au regard de la requête initiale, à laquelle la déclaration d'appel contre une ordonnance de rejet ne se substitue pas, de sorte qu’une cour d’appel ne peut retenir, après avoir constaté que la requête initiale avait pour objet des faits de concurrence déloyale et de violation d'une clause de non-concurrence par une salariée au profit de son nouvel employeur tandis que la "seconde requête" invoquait exclusivement des faits de concurrence déloyale contre ce dernier, que le président du tribunal de grande instance n'avait pas la compétence matérielle pour examiner la déclaration d'appel, improprement appelée "seconde requête". 

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-21.893

Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête, doit vérifier si la mesure in futurum ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, de sorte qu'il ne peut rétracter l'ordonnance au seul motif que la mesure serait disproportionnée en raison de l'atteinte susceptible d'être irrémédiablement occasionnée à un concurrent.

Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 19-20.156

L'action en nullité du contrat de franchise opposée à l'action en paiement d'une créance est irrecevable lorsque cette créance a irrévocablement été admise au passif du franchisé sans contestation de sa part.

L'obligation légale d'information ne dispense pas le franchisé de s'informer lui-même et de faire preuve de vigilance au regard des évolutions sociétales, telle que l'arrivée de la concurrence par internet.

Le franchiseur qui avertit un candidat que le secteur envisagé est difficile et à forte concurrence, tout en lui prodiguant des conseils identiques à ceux donnés à deux franchisés d'autres villes, ne peut se voir reprocher une insuffisance de présentation de l'état du marché, dès lors que les zones concernées sont semblables. 

La présentation de l'état du marché local par le franchiseur n'implique pas l'obligation de communiquer les données qui résultent d'une étude de marché, qu'il revient au franchisé de réaliser lui-même.


Les dirigeants qui se sont portés caution des prêts bancaires consentis à leur société ne peuvent faire valoir un préjudice personnel et distinct en raison de la perte d'apports et de la mise en œuvre du cautionnement, dès lors que cette perte ne constitue qu'une part du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers de la société franchisé.

Une analyse rétrospective du marché, postérieure de plus de deux années à la remise du document d'information précontractuelle, est insuffisante à démontrer une intention du franchiseur de dissimuler une information à son franchisé.

CA Versailles, 12e ch., 25 mars 2021, n° 18/00153

Le fait qu'une entreprise qualifie son comportement de manière juridiquement erronée ne suffit pas à l'exonérer de l'infliction d'une amende, dès lors qu'elle ne pouvait ignorer son caractère anticoncurrentiel.

Un fabricant de médicament princeps et des fabricants de médicaments génériques se trouvent en situation de concurrence potentielle lorsque ces derniers ont effectué des démarches préparatoires suffisantes leur permettant d'accéder au marché concerné dans un délai à même de faire peser une pression concurrentielle sur le premier, qu'elles ont conclu un contrat pour acheter des autorisations de mise sur le marché dans plusieurs Etats de l'EEE et qu'ils ont commandé un volume important de comprimés à un fournisseur et maintenu leur volonté d'enter sur le marché de plusieurs Etats membres malgré les doutes pesant sur le caractère éventuellement contrefaisant de ces comprimés, alors que les brevets de procédé, qui étaient expirés, ne constituaient pas une barrière insurmontable et que la présomption de validité d'un brevet n'équivaut pas à une présomption d'illégalité des produits mis sur le marché dont le détenteur de ce brevet estime qu'ils violent celui-ci.

Si l’existence d’un rapport de concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments princeps, titulaire d’un brevet qui protège le procédé de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public et un fabricant de médicaments génériques s’apprêtant à entrer sur le marché du médicament contenant ce principe actif s’apprécie à la date de conclusion de l’accord conclu entre eux, on ne peut en déduire que les événements et les comportements des parties antérieurs à la conclusion de celui-ci ne doivent pas être pris en compte, des événements et comportements comme les démarches pour obtenir une autorisation de mise sur le marché ou en modifier une existante étant décisifs pour établir la détermination ferme ainsi que la capacité propre du fabricant de médicaments génériques d'entrer sur le marché.

Des accords de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet constituent des restrictions par objet dès lors que ces accords par lesquels les fabricants de médicaments génériques s'engagent pendant leurs durées respectives à ne pas entrer sur le marché concerné en contrepartie de montants versés par le fabricant du médicament princeps avaient une portée plus étendue que celle d'éventuelles actions en justice que le titulaire du princeps aurait pu introduire contre les entreprises de génériques et ni ne permettaient de mettre fin à un litige, ni n'étaient justifiés par la force des nouveaux brevets de procédé du fabricant du médicament princeps.

Si le fabricant de médicaments génériques peut percevoir du fabricant de médicaments princeps des sommes correspondant à la compensation de frais ou de désagréments liés au litige qui les oppose, comme lorsque ce premier renonce à des engagements notamment financiers pris par le second à son égard, tels qu’un cross-undertaking in damages, constituent en revanche une restriction par objet les accords qui ont transformé l'incertitude quant à l'issue d'actions contentieuses relatives aux brevets de procédé en la certitude que les médicaments génériques n'entreraient pas sur le marché en contrepartie de paiements importants considérés par les parties comme l'indemnisation des fabricants de génériques pour la perte de profits qu'ils auraient réalisés en intégrant le marché concerné alors que les profits attendus d'une entrée sur le marché étaient soumis aux aléas propres à toute opération commerciale, en particulier ceux concernant l'issue d'une action en contrefaçon.

Sauf à nier la distinction existant entre les notions de "restriction par objet" et de "restriction par effet" issue de la lettre même de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, l'examen du "scénario contrefactuel" qui a pour finalité de mettre en évidence les effets d'une pratique collusoire déterminée ne saurait s'imposer aux fins de  la qualification d'une pratique collusoire de restriction par objet, qui a uniquement pour but de déterminer la gravité objective de la pratique justifiant précisément que ses effets ne soient pas appréciés.

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-601/16 P

Pour déterminer si une infraction a été commise de propos délibéré, il ne s'agit pas de vérifier si l'entreprise avait conscience ou devait avoir conscience du fait que les restrictions prévues par ses accords étaient susceptibles d’enfreindre les règles de concurrence du traité, mais si elle pouvait objectivement, au besoin en s’entourant des conseils appropriés, déterminer que son comportement présentait un caractère anticoncurrentiel.

Un accord de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet relève de la qualification de restriction par objet lorsque cet accord a transformé l'incertitude quant à l'issue d'actions en contrefaçon en la certitude que le fabricant de médicaments génériques n'entrerait pas avec ses produits sur le marché pendant toute la durée de l'accord en raison de l'importance du transfert de valeurs qui l'a incité à ne pas poursuivre ses efforts de pénétration du marché et qu'au regard du montant de ce transfert, le fabricant de médicaments génériques n'avait aucun intérêt à vendre d'autres produits finis que ceux du fabricant de médicaments princeps, l'accord éliminant de la sorte du marché non seulement le fabricant de génériques mais aussi son fournisseur.

Pour qu'un accord puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet, il n'est pas requis que le même type d'accord que l'accord litigieux ait déjà été condamné par la Commission, même s'il intervient dans un domaine spécifique comme celui des droits de propriété intellectuelle.

Aux fins de qualification de restriction par objet, le Tribunal peut tenir compte de la perception qu'avaient les parties, au moment de conclure les accords de règlement amiable, de leur position en matière de brevets et de leurs chances d'obtenir gain de cause en cas de litige, conformément au principe de libre administration de la justice.

Un fabricant de médicaments génériques ne peut prétendre bénéficier d'une exemption au titre de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, dès lors qu'il n'a pas suffisamment mis en évidence que l'évitement des coûts liés à un éventuel contentieux résultant prétendument d'un accord de règlement amiable relatif à un brevet pouvait constituer des gains d'efficacité, alors, en outre, que cet accord ne contenait aucun engagement de la part du fabricant de médicaments princeps de ne pas introduire de recours après son expiration.

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-588/16 P

L'absence d'expérience antérieure de la Commission en ce qui concerne la qualification de restriction par objet d'accords de report d'entrée ne l'empêche pas d'infliger une amende aux entreprises en cause, dès lors que le caractère nocif des accords qui ont pour objet de substituer une coopération pratique aux risques de la concurrence par les mérites est acquis.

Les inspections réalisées dans les locaux de l'un des membres de l'entente et les demandes de renseignements adressées à celui-ci ainsi qu'à d'autres ont pour effet d'interrompre la prescription à l'égard de toutes les entreprises impliquées.

Aucune disposition du droit de l'Union n'impose au destinataire de la communication des griefs de contester les différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle.

L'existence d'une concurrence potentielle entre le fabricant d'un médicament princeps et le fabricant de médicaments génériques peut être établie pas un faisceau d'indices concordant qui démontrent des possibilités réelles et concrètes, au moment de la conclusion des accords litigieux, d'entrer sur le marché dans un délai suffisamment court, compte tenu de la situation objective des parties sur le marché, de la perception subjective que chacune d'elles avait de l'autre ainsi que de la force des brevets de procédé en cause et des contraintes réglementaires propres au secteur du médicament et des droits de propriété intellectuelle.

Une entreprise de génériques dispose d'une possibilité réelle et concrète d'entrer sur le marché, lorsque le brevet originaire est expiré, permettant aux fabricants de génériques d'entrer sur le marché en l'exploitant, et qu'elle avait effectué des démarches pour préparer son entrée sur le marché, y compris en vue d'obtenir une autorisation de mise sur le marché ou une autorisation équivalente.

Même si la qualification de restriction par objet ne saurait dans tous les cas être retenue contre les accords de règlement amiable de litiges relatifs à un brevet de procédé de fabrication d'un principe actif tombé dans le domaine public conclu entre un fabricant de médicaments princeps et des fabricants de médicaments génériques, cette qualification s'applique à l'accord qui n'a réglé aucun litige entre les parties et a eu pour effet de maintenir le fabricant de génériques, concurrent potentiel du titulaire du brevet sur le princeps, en dehors du marché du médicament en cause, quel que soit le procédé de fabrication, en contrepartie de transferts de valeurs en faveur de ce fabricant en lien étroit avec les profits qu'il attendait d'une entrée sur le marché avec son générique. 

Si la qualification de restriction par objet peut être retenue à l'encontre de pratiques collusoires dont l’expérience montre qu’elles entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs, le fait que la Commission n’ait pas, dans le passé, estimé qu’un accord similaire à l’accord litigieux était, de par son objet même, restrictif de la concurrence n’est pas de nature, en soi, à l’empêcher de le faire à l’avenir, notamment lorsque l'examen individuel et circonstancié de la pratique, qui a consisté en la substitution volontaire d'une coopération aux risques de la concurrence par les mérites, met en évidence sa nocivité pour la concurrence.

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-586/16 P

L'élément intentionnel de l'infraction est caractérisé lorsque le libellé de l'article 101 TFUE permet objectivement de comprendre que des accords de report d'entrée présentent un caractère illégal, même s'il n'existait aucun précédent à la date de leur conclusion.

La perception qu’a un cocontractant ou un cocontractant potentiel du caractère illégal d’un accord permet d’étayer la constatation que celui-ci, comme son cocontractant, ne pouvaient ignorer le caractère anticoncurrentiel de leur accord.

Les parties à des accords amiables de litiges en matière de brevets se trouvent dans un rapport de concurrence potentielle lors de leur conclusion lorsque les brevets de procédé du titulaire du médicament princeps ne constituaient pas une barrière insurmontable à l'entrée pour les fabricants de médicaments génériques, que l'un d'eux était non seulement désireux mais également prêt à courir le risque d'une entrée sur le marché malgré les brevets de procédé, qu'il avait effectué des démarches importantes et des investissements considérables et avait même obtenu une autorisation de mise sur le marché dans un pays membre de l'Union et était sur le point d'en obtenir d'autres dans plusieurs Etats de l'EEE.

Pour apprécier l'existence d'une concurrence potentielle, les autorités doivent démontrer qu'il existe des possibilités réelles et concrètes que l'entreprise absente du marché intègre celui-ci et concurrence l'entreprise qui y est déjà présente, sans avoir à examiner si les voies d'accès au marché identifiées sont économiquement viables ou toutes effectivement praticables.

La qualification de restriction par objet de règlements amiables de litiges en matière de brevet ne doit pas s'effectuer principalement ni a fortiori exclusivement au regard du libellé de l'accord, même si ce libellé peut constituer un élément important, cette qualification n'étant pas réservée aux seuls accords qui présentent prima facie ou au regard de leur seul libellé un degré de nocivité suffisant.

Le fait qu'un accord particulier puisse relever d'une catégorie plus générale d'accords qui, selon la Commission, ne relève pas de la qualification de restriction par objet, voire ne présente pas de difficultés au regard du droit de la concurrence, n'empêche pas de le qualifier de restriction par objet.

Les accords, dont l'objectif était non pas pas de régler à l'amiable un litige en matière de brevets mais d'éviter la concurrence sur le marché du médicament princeps, qui ont incité un fabricant de médicaments génériques à ne pas entrer sur le marché pendant le durée de ces accords en contrepartie de paiements inversés importants, correspondant aux bénéfices qu'il estimait pouvoir obtenir en entrant sur le marché et qui ont eu pour effet de transformer l'incertitude existant au moment de leur conclusion quant à l'issue d'éventuelles actions en contrefaçon en cas d'entrée de l'entreprise de génériques en certitude qu'elle n'entrerait pas sur le marché, au détriment des consommateurs qui auraient pu, dans le cas contraire, bénéficier de médicaments génériques à un prix beaucoup plus bas, doivent être qualifiés de restriction par objet au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE.

Pour qualifier des accords de règlement amiable de litiges en matière de brevet de restriction par objet, il peut être tenu compte de la perception qu'avaient les parties, au moment de conclure ces accords, de la force de ces brevets et de la chance de l'emporter en cas de litige, conformément au principe de libre administration de la preuve qui prévaut en droit de l'Union.

Si la conclusion par le titulaire d'un brevet d'un accord de règlement amiable avec un contrefacteur qui n'excède pas la portée et la durée de validité restant à courir du brevet constitue l'expression du droit de propriété intellectuelle de son titulaire, le brevet n'autorise pas ce dernier à conclure des accords contraires à l'article 101 TFUE ou à adopter des pratiques collusoires qui présentent un degré de nocivité suffisant pour être qualifiées de restriction par objet.

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-614/16 P

Pour vérifier si une entreprise a commis l'infraction de propos délibéré, il importe seulement de savoir si elle était en mesure de déterminer que son comportement présentait un caractère anticoncurrentiel et non de savoir si elle l’avait effectivement constaté.

La Commission peut intégrer, dans le calcul de la valeur des ventes en relation avec l'infraction, celles effectuées sur les marchés sur lesquels les parties à un accord de report d'entrée ne sont que concurrents potentiels, sans avoir à se livrer à un examen approfondi des perspectives concrètes d'entrée des fabricants de médicaments génériques sur ces territoires.

Dès lors qu'il n'appartient pas à l'autorité de concurrence concernée de procéder à un examen de la force du brevet ou de la probabilité avec laquelle un litige entre son titulaire et un fabricant de médicaments génériques pourrait aboutir au constat que ce brevet est valide et contrefait, le Tribunal peut, sans violer la présomption de validité attachée aux nouveaux brevets de procédé, ni les règles applicables à la charge de la preuve des pratiques visées à l'article 101 TFUE, juger qu'il n'appartient pas à la Commission de prouver positivement que le médicament que les fabricants de génériques entendaient commercialiser ne contrefait pas les nouveaux brevets de procédé du titulaire du princeps et que la détention par ce dernier de tels brevets ne fait pas obstacle à la constatation de l'existence d'une concurrence potentielle entre les parties à l'accord.

Sauf à nier toute distinction entre concurrence réelle et concurrence potentielle, l'existence d'une concurrence potentielle n'exige pas de démontrer que les fabricants de médicaments génériques seraient entrés avec certitude sur le marché et qu'une telle entrée aurait immanquablement été couronnée de succès, mais uniquement que ces fabricants disposaient de possibilités réelles et concrètes à cette fin.

Tout élément de preuve antérieur, contemporain, voire postérieur à la conclusion d'un accord de règlement amiable de litige relatif à un brevet, peut être pris en considération dès lors qu'il s'avère de nature à éclairer l'existence ou l'absence d'un rapport de concurrence entre les entreprises considérées au moment de la conclusion de cet accord, à l'exception des éléments inconnus des parties, tels que les événements postérieurs concernant l'issue ultérieure du litige qui avait justifié la conclusion de l'accord.

La perception que le fabricant de médicaments princeps se fait du risque que présente pour ses intérêts commerciaux le fabricant de médicaments génériques constitue un critère pertinent pour apprécier l'existence d'une concurrence potentielle dès lors qu'elle conditionne le comportement sur le marché du fabricant du princeps, comme le fait de conclure des accords avec les fabricants de génériques afin de retarder leur entrée sur le marché.

Si la détention par un fabricant de médicaments génériques d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en cours de validité est nécessaire à son entrée sur le marché et au constat de l'existence d'une concurrence potentielle entre ce dernier et le fabricant de médicaments princeps correspondant aux génériques, l'absence d'une telle AMM au moment de la conclusion d'un accord de règlement amiable de litige relatif à un brevet  ne saurait exclure, en tant que telle, toute concurrence potentielle entre ces fabricants de médicaments.

En l'absence de barrière insurmontable à l'entrée, l'existence d'une concurrence potentielle entre un fabricant de médicaments princeps et un fabricant de médicaments génériques suppose uniquement que ce dernier ait entrepris les démarches suffisantes, telles qu'une demande d'autorisation de mise sur le marché, pour accéder au marché dans un délai à même de faire peser sur le fabricant du princeps une pression concurrentielle, le fait que ces démarches aboutissent en temps voulu ou soient couronnées de succès étant sans incidence.

Les accords de règlement amiable de litige relatif à un brevet, qu'il soient assimilés à des accords d'exclusion ou de répartition du marché, relèvent de la qualification de restriction par objet, au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors que les nouveaux brevets de procédé du fabricant de médicaments princeps n'étaient pas suffisamment solides pour que les fabricants de médicaments génériques s'engagent à ne pas entrer sur le marché, que les paiements inversés dont ont bénéficié les fabricants de génériques ont été calculés compte tenu des profits ou chiffre d'affaires qu'ils espéraient tirer pendant la durée des accords d'une entée sur le marché, que ces fabricants avaient réalisé des efforts considérables pour préparer leur entrée et n'avaient pas l'intention de la retarder en raison des nouveaux brevets de procédé, et que c'est principalement l'importance des paiements inversés qui les ont incités à limiter leur conduite.

Si la conclusion par le titulaire d’un brevet d’un accord de règlement amiable avec un contrefacteur allégué n’excédant pas la portée et la durée de validité restant à courir de ce brevet constitue l’expression du droit de propriété intellectuelle du titulaire et l’autorise à s’opposer à toute contrefaçon, le brevet n’autorise pas son titulaire à conclure des contrats qui violeraient l’article 101 TFUE, notamment en vue de pallier les effets de règles juridiques que les entreprises considèrent comme excessivement défavorables par la conclusion d'accords ou de pratiques collusoires présentant un degré de nocivité suffisant pour être qualifiés de restriction par objet.

Le fait que, même si les accords de règlement amiable de litige relatif à un brevet ne contenaient aucune clause de non-contestation, les fabricants de médicaments génériques n'avaient aucun intérêt à contester les nouveaux brevets de procédé du fabricant de médicaments princeps, après la conclusion de ces accords, puisque les paiements inversés correspondaient approximativement aux profits qu'ils escomptaient d'une entrée sur le marché ou aux dommages-intérêts qu'ils auraient obtenus s'ils avaient obtenu gain de cause à l'issue d'une procédure contentieuse, établit que ces accords sont restrictifs de la concurrence par objet et dépourvus d'effet proconcurrentiel à même d'écarter cette qualification.

Sauf à nier la distinction existant entre les notions de "restriction par objet" et de "restriction par effet" issue de la lettre même de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, l'examen du "scénario contrefactuel" qui a pour finalité de mettre en évidence les effets d'une pratique collusoire ne saurait s'imposer aux fins de la qualification d'une pratique collusoire entraînant une restriction par objet, qui a uniquement pour but de déterminer la gravité objective de la pratique justifiant précisément que ses effets ne soient pas appréciés.

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-591/16 P

Lorsqu'une entreprise reproche à la Commission la violation des droits de la défense qui procède de ce qu'elle n'aurait pas ouvert suffisamment tôt la procédure administrative à son encontre, elle ne peut se voir opposer le devoir de diligence dans la conservation de la preuve qui s'impose aux entreprises à compter de la date à laquelle elles ont été informées de l'ouverture d'une procédure administrative à leur encontre.

L'entreprise informée de l'ouverture d'une enquête sectorielle par la Commission est soumise à un devoir de prudence  dans la conservation des éléments qui permettent de retracer son activité.

Le Tribunal peut, sans violer la présomption de validité attachée aux nouveaux brevets d'un fabricant de médicaments princeps, juger que ce dernier se trouvait, lors de la conclusion d'un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevet, dans un rapport de concurrence potentielle avec un groupe actif dans le secteur des médicaments génériques, dès lors que ce dernier avait entrepris de nombreuses démarches pour obtenir une autorisation de mise sur le marché et consenti d'importants investissements pour entrer sur le marché du générique et qu'il disposait, au moment de la conclusion de l'accord, de deux possibilités réelles et concrètes d'entrée sur le marché et de chances raisonnables d'obtenir l'annulation du brevet de procédé du princeps.

L'accord de règlement amiable en matière de brevet, par lequel un fabricant de médicaments génériques s'engage, pendant toute sa durée, en contrepartie de paiements effectués par le fabricant du médicament princeps, à ne pas entrer sur le marché, caractérise une restriction par objet au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors que cet accord a transformé l'incertitude quant à l'issue d'actions contentieuses relatives aux nouveaux brevets de procédé du titulaire du princeps en la certitude que l'entreprise de génériques n'entrerait pas sur le marché, alors que cet accord a été conclu non pas à la suite d'une analyse des mérites des brevets de procédé en cause par ce dernier, mais plutôt en raison de l'importance du paiement inversé qui l'incitait à ne pas poursuivre ses efforts pour entrer sur le marché. 

Un accord n'est pas immunisé contre le droit de la concurrence du seul fait qu'il porte sur un brevet ou qu'il vise à résoudre à l'amiable un litige en matière de brevets et peut être considéré comme ayant un objet restrictif même s'il n'a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence mais qu'il poursuit également d'autres objectifs légitimes.

La circonstance qu'un comportement anticoncurrentiel puisse constituer la solution plus rentable ou la moins risquée pour une entreprise ne peut exclure la qualification de restriction par objet.

Le fait, pour le fabricant de médicaments génériques, d'éviter les conséquences financières et juridiques d'une entrée illégale sur le marché, ainsi que la gestion de stocks de produits contrefaisants, et, pour le fabricant de médicaments princeps, de se prémunir contre l'asymétrie des risques existant entre le titulaire de brevets de procédé et les fabricants de médicaments génériques ne peut permettre à un accord de règlement amiable de litiges en matière de brevet, qui présente un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour être qualifié de restriction par objet, d'échapper à cette qualification.

Sauf à nier la distinction existant entre les notions de "restriction par objet" et de "restriction par effet" issue de la lettre même de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, l'examen du "scénario contrefactuel" qui a pour finalité de mettre en évidence les effets d'une pratique collusoire déterminée, ne saurait s'imposer aux fins de la qualification d'une pratique collusoire de restriction par objet, qui a uniquement pour but de déterminer la gravité objective de la pratique justifiant précisément que ses effets ne soient pas appréciés.

Pour qu'un accord puisse être considéré comme restrictif de concurrence par objet, il n'est pas requis que le même type d'accord que l'accord litigieux ait déjà été condamné par la Commission, même s'il intervient dans un domaine spécifique comme celui des droits de propriété intellectuelle.

CJUE, 4e ch., 25 mars 2021, n° C-611/16 P

La différence entre la communication des griefs et la décision finale, qui résulte de la prise en considération, par la Commission, des données communiquées par l'entreprise en réponse à la communication des griefs, sans que celle-ci conduise à une modification de la méthodologie et des principes de calcul mis en oeuvre, ne peut caractériser une violation des droits de la défense.

Les ajustements effectués par la Commission en ce qui concerne le calcul des marges de l'entreprise, sans que celle-ci ait à nouveau été entendue, ne caractérisent pas une violation des droits de la défense dès lors qu'ils résultent de la prise en considération des données qu'elle a elle-même fournies.

Lorsqu’une entreprise dominante refuse de donner accès à une infrastructure qu’elle a développée pour les besoins de sa propre activité, la décision d’obliger cette entreprise à octroyer cet accès ne peut se justifier, sur le plan de la politique de la concurrence, que lorsque l’entreprise dominante dispose d’une véritable mainmise sur le marché concerné.

Lorsqu’une entreprise dominante donne accès à son infrastructure mais soumet cet accès ou la fourniture de services ou la vente de produits à des conditions inéquitables, les conditions énoncées par l’arrêt Bronner, en particulier celle qui porte sur le caractère indispensable de l'accès à l'infrastructure de l'entreprise dominante, ne s’appliquent pas. 

Concernant des pratiques autres qu’un refus d’accès, l’absence de caractère indispensable de l'accès à l'infrastructure de l'entreprise dominante n’est pas déterminante en soi aux fins de l’examen de comportements potentiellement abusifs de la part d’une telle entreprise.

Si l’obligation réglementaire d’accès à la boucle locale mise à la charge de l'entreprise dominante ne dispense pas la Commission d’établir l’existence d’un abus au sens de l’article 102 TFUE, l’imposition de cette obligation a pour conséquence que, durant toute la période infractionnelle, celle-ci ne pouvait pas et n’a pas véritablement refusé de donner accès à son réseau de boucle locale, de sorte que les conditions de l’arrêt Bronner, en particulier celle qui porte sur le caractère indispensable de l'accès à l'infrastructure, ne s'appliquaient pas aux pratiques litigieuses qui ne constituaient pas un refus d’accès à la boucle locale, mais concernaient les conditions d’un tel accès.

La prise en compte de coûts et de leurs ajustements pour l’examen d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges des concurrents de l’entreprise dominante doit s’apprécier au regard non pas du fait que d’autres ajustements de ces coûts ont déjà été acceptés par la Commission, mais du critère d’un concurrent au moins aussi efficace que l’entreprise en position dominante, de sorte que le juge de l'Union n'a pas commis une erreur de droit en entérinant le bien-fondé de l’exclusion, par la Commission, des ajustements d’optimisation proposés par l'entreprise dominante en application dudit critère, dès lors que ces ajustements étaient fondés sur une projection ainsi que sur un modèle de réseau optimal, et non pas sur une estimation reflétant les coûts incrémentaux des actifs existants de cette entreprise.

CJUE, 3e ch., 25 mars 2021, n° C-165/19 P

Des éléments qui démontrent qu'une entreprise est en mesure d'exercer une influence déterminante sur sa filiale peuvent être pris en considération en tant qu'indices pour établir le caractère effectif de l'exercice de cette influence.

Il est pertinent, pour apprécier l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère sur sa filiale, de tenir compte de la présence, à la tête de cette dernière, de personnes occupant des fonctions de direction au sein de la société mère, chargés de vérifier ses comptes en vue de leur consolidation au niveau du groupe, d'élaborer sa planification financière et sa politique d’investissement pour en assurer la conformité avec les objectifs du groupe et de vérifier si elle atteint ses propres objectifs financiers au cours de chaque période de référence. 

La mise à disposition de collaborateurs de la société mère auprès de sa filiale, à un très haut niveau de responsabilité constitue un indice de l'exercice effectif d'une influence déterminante, dès lors qu'ils possèdent une connaissance approfondie de la politique et des objectifs commerciaux de leur employeur et sont particulièrement bien placés pour veiller à ce que la filiale agisse de manière conforme à ses intérêts. 

La transmission régulière par une filiale d’informations détaillées relatives à sa politique commerciale à sa société mère est susceptible de contribuer, avec d’autres indices, à établir que ces sociétés forment une même unité économique.

Le contrôle d'une société mère sur sa filiale peut être démontré, de façon alternative et non cumulative, soit en établissant que la société mère a la capacité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de la filiale et qu’elle a en outre effectivement exercé cette influence, soit en prouvant que la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissent.


La société mère à qui a été imputé le comportement abusif de sa filiale, n'est pas fondée à contester qu'il n'appartenait pas à la Commission d'établir le caractère indispensable de l'accès à l'infrastructure de sa filiale, lorsque les pratiques de sa filiale constituent, non pas un refus d'accès à la boucle locale, mais concernent les conditions d'un tel accès, pour lesquelles les conditions de l’arrêt Bronner ne s'appliquent pas.

Si l’obligation réglementaire d’accès à la boucle locale mise à la charge de la filiale de la requérante ne dispense pas la Commission d’établir l’existence d’un abus au sens de l’article 102 TFUE, l’imposition de cette obligation a pour conséquence que, durant toute la période infractionnelle, la filiale ne pouvait pas et n’a pas véritablement refusé de donner accès à son réseau de boucle locale, de sorte que les conditions de l’arrêt Bronner, en particulier celle qui porte sur le caractère indispensable de l'accès à l'infrastructure, ne s'appliquaient pas à ses pratiques litigieuses qui ne constituaient pas un refus d’accès à la boucle locale, mais concernaient les conditions d’un tel accès.

Décisions de justice rendues en 2021 - Page 56